Zoom sur l’intégration de la construction vernaculaire dans le corpus normatif antillais

REHABILITER LA CONSTRUCTION VERNACULAIRE EN L’INTÉGRANT AU CORPUS NORMATIF ANTILLAIS

Les éléments remarquables du patrimoine architectural vernaculaire des Antilles

L’architecture vernaculaire des Antilles regorge de trésors. Les apprentissages constructifs de l’époque coloniale post civilisations pré-colombiennes ont été multiples. Ces apprentissages ont été guidés par l’utilisation de ressources locales, chaque fois que cela était possible. Les constructions ont également subi les affres des éléments naturels, inconnues des premiers colons, notamment les cyclones et les séismes. Les constructions ont ainsi évolué au fil des décennies pour offrir graduellement à leurs occupants un niveau de confort et de sécurité compatible avec le climat tropical humide des Petites Antilles. Ces constructions ne sont cependant pas restées hermétiques à certains matériaux importés d’Europe. Cette combinaison singulière d’apports extérieurs et d’expérimentations in situ a véritablement donné naissance à une architecture vernaculaire de caractère ayant ses propres codes.

Parmi les éléments d’ouvrages les plus remarquables notons, les menuiseries extérieures en bois, les parquets en bois, les murs en maçonnerie, les bardages, les charpentes et les couvertures, les éléments de ferronnerie.

 

L’ouragan de 1928 en Guadeloupe

L’année 1928 a marqué un tournant dans l’art de construire aux Antilles françaises. Le 12 septembre de cette année-là, un puissant ouragan capverdien nommé Okeechobee frappe la Guadeloupe. Il cause la mort de 1200 à 1500 guadeloupéens. La ville de Pointe-à-Pitre dont les constructions sont essentiellement à ossature bois est complètement ravagée. A l’époque, ces structures à ossature bois n’étaient pas dimensionnées pour résister aux vents soutenus à 230 km/h.

Une phase de reconstruction massive du bâti de l’île démarre dans les mois qui suivent la catastrophe. Elle est confiée à Ali Tur, un l’architecte du ministère des colonies. De 1929 à 1937 plus d’une centaine de bâtiments publics et privés sont construits ou reconstruits en utilisant cette fois des ossatures de type poteaux-poutres en béton armé. Ali Tur possède un style original, à travers une formation marquée par l’École des Beaux-Arts et par de nombreuses références aux réalisations d’Auguste Perret, architecte français, l’un des premiers techniciens spécialistes du béton armé. Ali Tur intègre aussi à ces bâtiments les acquis des expériences sur l’architecture climatique, diffusées lors de l’Exposition coloniale de 1931.

Beaucoup des bâtiments réalisés par Ali Tur sont encore en exploitation aujourd’hui.

L’évolution des modes constructifs touchera également la Martinique qui rentre dans l’ère du béton armé dans l’entre-deux guerres mondiales.

 

Domaine ou techniques traditionnelles, techniques courantes : où se positionnent les techniques vernaculaires ?

Il y a lieu de faire la distinction entre les notions de domaine traditionnel et de technique courante. Pour l’emploi de techniques et procédés vernaculaires, cette distinction a une grande importance. Cette distinction génère en effet une différence au niveau de l’assurabilité des travaux. Rappelons que toute entreprise qui réalise des travaux de bâtiment doit souscrire une assurance décennale, qui couvre les risques liés à la réalisation de ses ouvrages, pendant une période incompressible de 10 ans à compter de la date de livraison.

Les travaux réalisés selon « les règles de l’art », ou les normes, relèvent automatiquement du domaine traditionnel. Les normes, dont la grande majorité est d’application volontaire, regroupent les normes NF, les NF EN, les NF DTU, les règles professionnelles et les recommandations professionnelles RAGE (Règles de l’Art Grenelle de l’Environnement). Il est important de noter que rentrent aussi dans le domaine traditionnel, les techniques anciennes, mais maîtrisées par les entreprises qui reproduisent une tradition orale ou en partie orale, connue de leurs assureurs et œuvrant sur un territoire bien identifié.

Par opposition, les travaux qui présentent un caractère innovant et qui n’ont pas de retour d’expériences suffisant relèvent du domaine non traditionnel. Ils rentrent dans la catégorie des techniques qui font l’objet d’une évaluation, comme les procédés sous Avis Technique (ATec), les Document Technique d’Application (DTA), les Appréciation Technique d’Expérimentation (ATex), les Enquêtes d’Évaluation Européenne (ETE), les Enquêtes de Techniques Nouvelles (ETN) et les Pass Innovation. Le domaine non traditionnel regroupe aussi les techniques qui ne font l’objet d’aucune évaluation.

La Technique Courante (TC) et son corollaire la Technique Non-Courante (TNC) recouvrent des notions strictement contractuelles, propres aux assureurs et étendues à leurs « agents ».

La Technique Courante concerne tous les travaux rentrant dans le domaine traditionnel, mais aussi les produits et procédés sous ATec, DTA, et ATex sans mise en observation par la Commission Prévention Produits (C2P) de l’Agence Qualité Construction (AQC). En conséquence, l’entreprise qui met en œuvre ces différentes familles de procédés et produits est automatiquement couverte par son assurance décennale dans les conditions habituelles de souscription.

En revanche, quand le procédé ou le produit est classé dans le domaine non traditionnel, ce qui est donc le cas pour les règles professionnelles non examinées ou non acceptées par la C2P, les familles de procédés mis en observation, les ATex avec avis réservé ou défavorable, les anciens Pass Innovation orange ou rouge, ainsi que les autres procédés, l’entreprise doit impérativement en avertir son assureur, avant la remise de son offre, pour pouvoir y intégrer l’incidence d’une éventuelle surprime et afin d’obtenir une adaptation de ses garanties, après étude du produit ou du procédé. À défaut, l’entreprise ne sera pas couverte pour les dommages affectant son ouvrage après réception.

 

Les initiatives de remise au goût du jour des techniques et produits de construction vernaculaires

 Par le passé, de nombreuses techniques de construction ancestrales (vernaculaires) ainsi que des matériaux endogènes ont été proscrits de l’architecture caribéenne pour non-conformité aux « règles Antilles » et autres normes de construction reconnues, chaume, torchis, essentes (bardeaux), roches de rivière, bambou, etc.

Cependant, les techniques de construction vernaculaires sont par nature le plus souvent des techniques éprouvées ayant donné un « certain niveau » de satisfaction. S’inspirer du passé pour bâtir l’avenir est très souvent un chemin vertueux.

Malheureusement, certains savoir-faire se sont perdus et des techniques et produits ont été victimes d’une quête de modernité, dont les conséquences n’ont d’ailleurs pas toujours été couronnées de succès.

La transition écologique et énergétique dans le domaine des matériaux de construction et la réhabilitation du bâti ancien dans les centres-villes et les centre-bourgs sont deux opportunités qui pourraient permettre le retour en force de l’architecture vernaculaire.

Torchis, bardeaux de bois, maçonneries de moellons…pourquoi pas ?

Mais, les constructions modernes doivent « nécessairement » faire l’objet d’une couverture assurantielle adaptée face à des menaces qui sont de mieux en mieux identifiées et dont on prévoit l’intensification pour certaines d’entre-elles.  Pour favoriser une réappropriation des techniques vernaculaires et vulgariser ces procédés en construction neuve et en réhabilitation, il faut donc raisonner en « Technique Courante » et passer les techniques et procédés du passé au filtre de la norme d’aujourd’hui.

La démarche BatiSolid d’adaptation des normes de construction applicables aux Antilles est dans un tel contexte une chance à saisir. Il appartiendra donc aux parties prenantes, architectes, industriels, distributeurs de matériaux, maitres d’ouvrages… d’exprimer leurs besoins.