Zoom sur la vulnérabilité multirisque du bâti littoral, un enjeu majeur pour les territoires de Guadeloupe et de Martinique

Les territoires antillais de Guadeloupe et de Martinique ont la particularité d’avoir une part importante de leur population qui occupe des zones dites « littorales ». Les franges littorales sont avant tout des lieux de vie, l’habitat « régulier » comme l’habitat plus informel se côtoient depuis très longtemps, avec des qualités de construction extrêmement variables. Ces franges accueillent également d’autres enjeux économiques, tels que des hôtels, des restaurants, des installations de loisirs ou des commerces ainsi que de nombreuses infrastructures, dont certaines sont vitales pour la continuité des activités sur les territoires (ports de commerce, aéroports, routes côtières…)

La spécificité de cet espace a historiquement été reconnue au travers du statut de la zone de 50 pas du Roy, également connue sous l’appellation de « 50 pas géométriques ». Au moment de sa création, la mainmise de l’Etat sur cet espace répondait essentiellement à des besoins de protection des territoires contre d’éventuels envahisseurs. A l’heure du changement climatique, la menace a changé de nature, il s’agit désormais de se protéger d’aléas de natures multiples.

Le premier phénomène visible est l’érosion côtière (encore appelée recul du trait de côte). Il s’agit d’un phénomène complexe, généralement très lent, mais il est, sur de nombreuses côtes, irrémédiable. Il est causé par l’action naturelle de la mer, aggravée par l’élévation du niveau des océans. Une partie du bâti se retrouve ainsi progressivement en première ligne face à l’action mécanique des vagues. Des constructions qui étaient il y a quelques décennies éloignées du rivage sont aujourd’hui « les pieds dans l’eau ».

Les ouragans dont l’intensité pourrait fortement augmenter en moyenne dans les prochaines décennies génèrent au passage de l’archipel des houles cycloniques énergétiques pendant plusieurs heures, voire pendant plusieurs jours. Ces houles, combinées à la dépression atmosphérique, à l’onde de tempête qui est le mouvement de masses d’eau poussées vers le rivage par le vent, et à la marée astronomique provoquent des phénomènes de submersion marine catastrophiques. Pour le bâti littoral, les pressions dynamiques exercées sur les éléments structuraux comme sur les éléments non structuraux telles que les menuiseries extérieures sont de nature à générer des dégâts considérables. Les intrusions marines consécutives à ces épisodes de submersion marine plus fréquents changent aussi la chimie des eaux dans les sols au contact des bétons de fondations. Il faut donc, plus que dans d’autres terrains, se préoccuper de la qualité de ces bétons pour leur résistance à certains agents chimiques comme les chlorures.

 

Certaines zones basses sur les littoraux ne sont pas exemptes des risques d’inondation. Le régime torrentiel des ravines et rivières des territoires antillais pose régulièrement des risques de débordement des cours d’eau à proximité des embouchures. Ces crues éclairs menacent de nombreuses constructions. Les ouvrages de domestication des cours d’eau dans leur partie terminale restent coûteux et le fort développement de l’artificialisation des bassins versants a rendu certains aménagements réalisés dans les années 80 obsolètes face aux cumuls de précipitations impressionnants constatés lors des épisodes de pluies extrêmes, et ce, même en dehors du passage de phénomènes cycloniques.

Un autre risque bien connu est la prégnance des embruns sur des territoires insulaires exigus balayés par les alizés. Ces embruns mettent à mal les éléments d’ouvrages métalliques, quincaillerie et visserie, ferronnerie, tôles de bardage et de couverture, charpentes métalliques, ronds à béton insuffisamment enrobés.  Des dispositions constructives adaptées sont à respecter strictement pour éviter les phénomènes de corrosion accélérés. L’entretien régulier des éléments d’ouvrage, comme évoqué au cours des réunions du groupe de travail BatiSolid n°12, est néanmoins tout aussi important que les choix initiaux de matériaux et la qualité de mise en œuvre.

Le bâti littoral s’est parfois réalisé sur des terrains aux qualités géotechniques médiocres. Il s’agit parfois d’anciennes zones de mangrove comblées au fil du temps, de zones gagnées sur la mer par dépôts successifs de remblais non consolidés, ou de zones sableuses. Ces terrains sont susceptibles de présenter un risque de liquéfaction élevé sous l’action du séisme.

Un risque nouveau pourrait se rajouter à la liste de ces nombreux aléas, l’impact des gaz issus de la décomposition des algues sargasses sur le bâti littoral dans les zones où ces dernières stagnent et pourrissent, émettant ainsi de l’ammoniac et de l’hydrogène sulfuré qui serait préjudiciable aux ouvrages en béton armé à certaines concentrations. La crainte est que ces gaz accélèrent fortement la corrosion des armatures conduisant à une survulnérabilité silencieuse au risque sismique. Dans le cadre du projet BatiSolid, il est question prochainement de quantifier ce risque au travers d’une étude à laquelle serait associée l’Université des Antilles et l’opérateur Madininair qui dispose d’un réseau de mesure en temps réel des concentrations de ces gaz.