Malgré la multiplicité des études sur les risques majeurs, peu d’entre elles adoptent une démarche multirisque, la plupart étant mono-aléa. Pourtant, si l’on souhaite s’approcher de la réalité, il est nécessaire de prendre en compte les risques dans une démarche globale, tant les possibilités d’effets cocktails et d’effets dominos peuvent être nombreuses dans l’environnement spécifique des Petites Antilles. Les travaux conduits dans le cadre du projet BatiSolid Antilles d’adaptation des normes de construction se placent ainsi résolument dans cette dynamique multirisque.
L’approche multirisque consiste à étudier l’impact combiné ou successif de sollicitations liées à des aléas de nature différente. Ces sollicitations peuvent être simultanées, soit parce que l’une est la résultante de l’autre (effet domino) soit parce que le hasard fait que deux aléas se manifestent en même temps (effet cocktail). Mais ces sollicitations peuvent aussi se manifester à des moments différents durant la vie de l’ouvrage qui doit donc être conçu, construit et entretenu pour résister aux effets de plusieurs types d’aléas.
Parmi les effets cocktails les moins étudiés, il y a le passage d’un ouragan concomitamment à une crise volcanique en cours. Cette situation, rare, est néanmoins possible en plusieurs endroits de la zone des Petites Antilles où le volcanisme est actif et elle s’est même déjà produite en 1995 juste au nord de la Guadeloupe.
La durée des crises volcaniques est variable, mais elle peut excéder une année. Pour les îles de la zone des Petites Antilles où le risque volcanique existe, il faut donc imaginer qu’il puisse y avoir une crise cyclonique venant se rajouter à une crise volcanique en cours. Rentrent clairement dans cette catégorie de territoires à double risque volcanique et cyclonique, les Iles de Saint-Vincent, Sainte-Lucie, la Martinique, la Dominique, la Guadeloupe, Montserrat et Saint-Eustache.
La dernière éruption de la Soufrière de Saint-Vincent a duré du 27 décembre 2020 au 22 avril 2021 avec une période d’intense activité explosive durant le mois d’avril 2021. L’épidémie en cours de Covid-19 a compliqué la gestion de crise, mais le volcan a heureusement choisi de terminer sa crise avant le début de la saison cyclonique 2021. Cependant, de précédentes éruptions de ce volcan très actif ont déjà coïncidé avec des périodes cycloniques, notamment en 1971 et en 1979.
En Guadeloupe, l’éruption de la Soufrière de 1976 débutait en pleine saison cyclonique le 8 juillet et les évacuations de masse de la Basse-Terre étaient ordonnées au pic de la saison le 15 août. Par chance, lors de la saison cyclonique 1976, peu active, seule la dépression tropicale n°10 a impacté les Petites Antilles, le 8 octobre, avec un passage au sud de l’arc entre Saint-Vincent et Sainte-Lucie.
Plus au nord de la Guadeloupe, en 1995, cette combinaison n’est malheureusement pas restée théorique. L’éruption de la Soufrière de Montserrat démarrée le 18 juillet 1995 a montré que ce cocktail de risques était possible avec le passage des ouragans Luis (4 août 1995) et Marylin (15 septembre 1995) à proximité de l’île, au moment où l’éruption volcanique montait en puissance et que des évacuations vers la zone nord avaient déjà été ordonnées.
Montserrat, Plymouth (ancienne capitale)
Des problématiques de construction qu’il faudrait résoudre par une adaptation des bâtiments et des infrastructures aux différents risques
Cette combinaison d’aléas, éruption volcanique-cyclone, pose surtout des problématiques de gestion de crise, mais les risques bâtimentaires et les questions de résilience des infrastructures sont aussi très prégnants.
Les crises volcaniques induisent des déplacements de populations, des bâtiments et des ouvrages de génie civil peuvent être endommagés par des coulées de boues, des lahars, des chutes de blocs, des coulées pyroclastiques. La menace bâtimentaire à spectre plus large reste cependant les retombées de cendres et les surcharges qu’elles apportent sur les charpentes et couvertures rarement conçues pour de tels efforts dans des zones où la neige ne fait pas partie des aléas considérés pour le dimensionnement des structures.
Clin d’œil de l’histoire dans l’évolution des normes de constructions applicables aux Antilles, les Bureaux d’Etudes utilisaient les règles Neige et Vent 65 (NV 65) avant l’adoption de l’EUROCODE 1.4, la norme qui traite la prise en compte des charges de vent sur les structures.
Exemple d’effondrement de complexes charpente-couverture dans l’île de Saint-Vincent en avril 2021 – Crédit photo : ECTAD Caribbean
Il faut noter que les pluies extrêmes qui accompagnent les cyclones sont parfois susceptibles d’humidifier les cendres, augmentant leur poids volumique, ce qui augmente très sensiblement les surcharges pour les bâtiments.
Les lahars volcaniques présentent également un risque important pour certains ouvrages de génie civil comme les ponts, les routes et certains réseaux aériens ou enterrés.
Pour les constructions situées en dehors des zones de danger ou de retombées des cendres, il faut donc s’assurer de la capacité de résilience des bâtiments refuges. A Montserrat, des bâtiments légers éphémères (des tentes) ont dû faire face à des conditions cycloniques. Cela a d’ailleurs provoqué une accélération de l’exode de la population.
Pour la Martinique, où les scientifiques indiquent que le massif de la montagne Pelée est en phase de réactivation lente, le plan ORSEC Volcan prévoit des jumelages entre les communes du nord de l’île exposées au risque volcanique et des communes du sud de l’île. Toutes les constructions refuges destinées aux populations déplacées dans cette zone hors de portée des effets significatifs d’une éruption volcanique devraient donc être aussi capables de faire face à un ouragan majeur pour limiter le risque de sur-crise.
Les politiques publiques de gestion de crise « Cat Nat » aux Antilles doivent donc conduire à mettre en œuvre des dispositions constructives « renforcées » conçues dans un esprit « multirisque ». Le projet BatiSolid Antilles doit dire quelles devraient être ces prescriptions complémentaires à celles figurant déjà aujourd’hui dans l’EUROCODE 1.4 charges de vent et l’EUROCODE 8 séisme.
Attention cependant à aller jusqu’au bout de cette démarche multirisque. L’exemple de ces maisons construites à Montserrat en zone « sûre » pour accueillir les populations sinistrées de la zone d’exclusion est parlant. Les poteaux courts qui supportent les maisons au premier plan constituent en effet des éléments d’ouvrages particulièrement vulnérables aux efforts sismiques.
Crédit photo : Ryan Schusseler – Al Jazeera